lundi 28 mars 2011

Terrasse intime



« Celle-là? »

« Non, elle n’est pas au soleil. »

« Celle-ci alors? »

« Il n’y a pas de table libre à l’extérieur. »

Ce n’était pas comme si Paris était en pénurie de terrasses, il n’y avait que ça à des kilomètres à la ronde et il n’en fallait pas beaucoup aux restaurateurs pour en installer une. Dès que quelques centimètres de trottoir étaient libres devant leur commerce, ils s’empressaient d’y installer une table, deux chaises et hop, ils avaient une terrasse!

Je pouvais donc faire ma capricieuse et choisir judicieusement celle qui serait idéale pour cette fin d’après-midi printanière. De préférence une où on vous offrait les olives ou les arachides ou même les deux avec un peu de chance.

Mon amoureux soupira.

Il était vrai que nous venions d’en dépasser plus d’une dizaine et que j’avais moi aussi, les pieds endoloris. Mais il faisait si beau que je voulais absolument m’installer à l’extérieur.

« Tiens, celle-là. », dis-je alors que nous passions devant une terrasse encore une fois complètement bondée.

Devant nous, une rangée de gens étaient alignés, mais tous en direction de la rue. Au lieu d’être disposés l’un en face de l’autre et de regarder leur interlocuteur, les Parisiens préféraient s’asseoir côte à côte. La première fois que j’avais remarqué cet étrange positionnement, je m’étais arrêtée par réflexe, croyant qu’un spectacle ou un défilé allait bientôt avoir lieu… mais je compris plus tard que le spectacle, c’était moi et tous les autres passants qu’ils pouvaient allégrement s’amuser à observer et sans doute critiquer.

Un serveur dans l’habit réglementaire parisien, sois la chemise blanche, le débardeur noir, le nœud papillon et le long tablier blanc jusqu’aux chevilles, s’approcha. Il nous fit un signe avec deux doigts. Nous fîmes un petit hochement de tête et le suivîmes.

La terrasse était pleine à craquer, j’avais peine à croire qu’on pouvait véritablement y insérer deux personnes de plus.

Au lieu de tirer ma chaise, comme ce serait le cas dans un restaurant civilisé, le serveur tira la table vers nous. Nous n’avions plus qu’à nous insérer dans le minuscule espace qui nous avait été assigné. Je m’y glissai alors en me félicitant d’avoir résisté à ce décadent gâteau au chocolat à l’heure du lunch.

Une fois installé, le pingouin remit la table en place et nous tendit les menus.

J’ouvris la carte en prenant soudain conscience du degré d’intimité de l’endroit.

À notre gauche, trois filles début vingtaine fumaient comme des cheminées en rigolant à gorge déployée.

« J’te jure, pauvre mec, elle faisait à peine 5 centimètres.»

Charmant.

Je tournai la tête. À notre droite,  un couple était plongé dans un long échange de french kiss langoureux.  

Craquant.

Le serveur revint.

«  Deux 1664, 50 centilitres », commanda mon amoureux.

Il repartit avec son air toujours aussi sympathique. 

« Pour ce soir, j’avais pensé… », commençai-je.

« HA HA HA HA HA », me fis-je couper.

Ce gloussement strident provenait de la table voisine. La plus vieille des trois avait la tête renversée et s’esclaffait en répandant de la cendre un peu partout sur notre table.

Adorable.

Je me retournai vers la droite pour tenter d’éviter le nuage de fumée qui s’avançait vers moi et qui menaçait de remplacer l’odeur de mon nouveau parfum et je vis que le couple n’avait toujours pas terminé sa séance de bécotage intensif. J’étais si proche que je distinguais même la bave couler sur le menton du jeune homme.

Élégant.

 « Ce que je disais, c’est que ce soir… », recommençai-je, avant de carrément m’étouffer en avalant plus que la quantité quotidienne recommandée de monoxyde de carbone.

Nos deux bières arrivèrent.

Mon amoureux me regarda. Je hochai la tête avec supplication.

« Vous avez une table à l’intérieur? »

©Marilyn Préfontaine