lundi 7 février 2011

Voulez-vous tu…?


« Désirez-vous un sac? », demanda le jeune caissier de la librairie.

« Oui, s’il te plaît », lui répondis-je pour être polie. 

Je vis alors son regard changer et ses lèvres se pincer. Était-il un fervent militant environnementaliste et le fait d’utiliser un sac en plastique le dérangeait à ce point? Alors, pourquoi me l’avoir offert?

Il saisit ma carte un peu précipitamment, prit une grande respiration, ferma les yeux un instant et revint à la charge. 

« Vous avez dit « s’il TE plaît »,  je préfère « s’il VOUS plaît », me dit-il sérieusement. 

Je me mis alors à rire, croyant à la blague. Je pensais sincèrement qu’il avait reconnu mon accent québécois et qu’il voulait se moquer un peu de moi.  

Puis, je m’aperçus rapidement que ce n’était pas une plaisanterie : je l’avais profondément insulté.

Mais, il devait avoir à peu près le même âge que moi! Et ce n’était pas comme si j’allais le voir chaque jour; la librairie n’était même pas située dans mon quartier.

Je pris alors mon sac et quittai la boutique, un peu sous le choc. 
 
J’avais toujours trouvé ces histoires de vouvoiements trop compliquées pour rien. Les anglophones eux, n’avaient pas créé cette ambiguïté inutile, il n’existait qu’un seul pronom pour s’adresser à un tiers « You ».  

Pour moi,  le « vous » imposait une certaine distance et froideur entre deux personnes. Une chose était certaine : je n’aurais jamais pu raconter mes week-ends à quelqu’un que je vouvoyais, sauf bien sûr si je les avais passés à l’église ou à la bibliothèque… Je continuais même à trouver étranges ces baby-boomers qui vouvoient leurs parents. Bien sûr, j’avais usé du « vous » avec quelques patrons les premiers jours, tout au plus les premières semaines jusqu’à ce qu’ils se « tannent » eux-mêmes et me demandent de passer gentiment au deuxième pronom du singulier. 

Mais les Français semblaient tenir à cette formule de politesse élémentaire bien plus que nous. Entre collègues, il n’est pas rare, il est même tout à fait conventionnel d’utiliser le « vous ». Voilà pourquoi nous, Québécois, sommes souvent considérés comme un peuple chaleureux, car nous utilisons le « tu » gaiement dans les magasins, les pharmacies et les restaurants. Avec les personnes plus âgées, le « vous » vient habituellement spontanément à nos lèvres, mais avec une personne de notre âge, l’ambigüité plane toujours. Je m’étais alors fait ma propre règle : je me fiais la plupart du temps à mon humeur et ce jour-là j’avais eu le cœur au « tu ». Erreur! 

Sur le chemin du retour, j’étais donc un peu ébranlée. Je réfléchissais au fait que dans mon pays natal, personne ne s’offusque vraiment du choix de pronom qu’on utilise pour s’adresser à eux, du moins dans les endroits publics. Puis, je m’arrêtai sec et me retins pour ne pas me gifler, voilà justement la clé du problème : je n’étais pas au Québec, j’étais dans LEUR pays, c’était donc à moi de m’adapter à leurs coutumes, c’était tout simplement normal.

À partir de ce moment, je décidai donc de vouvoyer les Français chaque fois que je m’adresserais à eux, pour la première fois du moins…

©Marilyn Préfontaine